Dans le post précédent, j’ai évoqué le magnifique poème de Victor Hugo, Demain, dès l’aube.
Je
ne me lasse jamais de le revisiter pour sa qualité poétique et d’en découvrir
les nombreux mystères. Outre ceux concernant sa date réelle de composition par
rapport à celle volontairement annoncée par l’auteur lors de la publication du
recueil, et ses raisons de l'antidater, il est étonnant de retrouver aussi, au détour d’un manuscrit, un
vers alternatif qu’Hugo avait trouvé.
Grâce
au Poéte qui a conservé toute sa vie ses manuscrits puis a fait don de la quasi
totalité à la Bibliothèque Nationale, grâce à ses proches et à tous les bibliothécaires qui ont
veillé sur eux depuis près de 140 ans et grâce à celles et ceux qui ont
scanné ces milliers de feuillets, nous avons, tous et partout, un accès direct à ces pièces
inestimables.
Et
émouvantes : on y voit le Génie en action. En particulier le faible nombre
de corrections de la part du Poéte. C’est particulièrement frappant dans le manuscrit du
roman de Notre Dame de Paris, écrit à
l’âge de 29 ans et en cinq mois, parce que l’éditeur menaçait Hugo, en retard, de
poursuites judiciaires. Stupéfiant.
Le
manuscrit du
poème,
trois quatrains soit 12 vers, ne contient, lui, qu’une seule rature au dessus
du vers 4.
Le
bas du manuscrit nous offre, en cadeau, une alternative à laquelle Hugo avait
pensé pour le dernier vers, celui qui, avec le mot qui le précède, donne la clé
du poème entier.
A
la place de ce qu’Hugo a finalement retenu :
« …je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. »
Nous pouvons lire en bas du feuillet un vers raturé d’un trait de plume ondulé, comme une vague qui efface une phrase sur le sable. Dans cette alternative, Hugo avait pensé à une autre fleur que la « bruyère », de la « sauge », à un mot moins poétique que « bouquet », une « branche », et n’avait pas précisé la couleur du « houx ». le poème aurait donc pu finir ainsi :
« …je mettrai sur ta tombe
Une branche
de houx et de la sauge en fleur. »
Quel qu’ait été son choix, houx, sauge ou bruyère, ce sont des plantes qui vivent longtemps et leurs feuilles sont sempervirentes. La sauge a plus de parfum (pour nous) que la bruyère, et l'origine de son nom latin, salvia, témoigne de son rôle bienfaiteur, mais la couleur de ses fleurs, du moins pour les variétés sauvages, est plus modeste. Elles ont donc toutes les trois leur place sur une tombe pour célébrer la peine immense de la perte d’un être cher et la promesse de ne pas l’oublier. La tombe de Léopoldine Hugo, à Villequier, en Normandie, est encore aujourd’hui régulièrement ornée de bruyère.
In
fine, avec une plus jolie métrique et avec plus de couleur, le grand Poéte a
choisi, entre les deux, la plus belle formule poétique.
Fallait-il
en douter ?